Dossier : Avoir les cheveux bouclés en Guadeloupe


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Dossier : Avoir les cheveux bouclés en Guadeloupe - Coupe afro lycée Bel-Air - Bouclette

Avoir les cheveux bouclés en Guadeloupe

Lara

Retour sur la polémique d’interdiction des coupes afro au lycée Bel-Air de Baie-Mahault en Guadeloupe

Porter ses cheveux texturés naturels n’est pas un choix anodin, on ne le sait que trop bien chez Bouclette. En juillet dernier, la tweetosphère francophone découvre un tweet qui donnera lieu à une polémique particulièrement éloquente pour comprendre la dimension politique et sociétale des cheveux texturés. En effet, le 11 juillet, le titulaire du compte «Blue-Ice » dévoile sur tweeter la photo de deux affiches accrochées dans le lycée Bel-Air de Baie-Mahault en Guadeloupe, à destination des élèves, et répertoriant une liste non-exhaustive des coupes de cheveux non-autorisées pour la rentrée 2019. Le problème majeur de ces interdictions : il s’agit presque uniquement de coupe de cheveux afro et bouclés.

© décolonisons-nous (capture d’écran)

La photo est rapidement reprise sur des comptes instagram influents, notamment Décolonisons-nous et Mais non c’est pas raciste, créant une visibilité importante à ce règlement arbitraire et qui plus est, discriminant envers toute une population. Face aux réactions, le lycée retire les affiches, mais le mal est déjà fait.

L’information est rapidement reprise par les médias traditionnels, à la fois en Guadeloupe et dans l’Hexagone. La directrice déléguée à la formation professionnelle et technologique du lycée Bel-Air s’exprime dès le 12 juillet sur RCI FM. Elle évoque pour expliquer ce règlement une visée professionnelle, c’est à dire, selon elle, que les élèves aient « dès le départ un cadre qui soit accepté par tous les professionnels ». Le lendemain la chaine TV Guadeloupe la 1ère consacre un reportage à cette polémique pour le JT de 19h30. Le reportage nous montre la remise des diplômes au lycée Bel-Air,
parmi les élèves on peut d’ailleurs remarquer plusieurs coiffures non-conformes aux interdictions pour la rentrée 2019. Les journalistes donnent la parole au proviseur du lycée, Dominique Ilponse. Son intervention est intéressante car l’argumentaire du monde professionnel est à nouveau mis en avant car, dit-il, le lycée a « un partenariat avec l’extérieur, nous sommes tenus de prendre en compte les retours qui remontent du terrain ». D’ailleurs, la politique du lycée semble être défendue par certains parents d’élèves comme en témoigne l’intervention d’une des mères, mais également par certains élèves.

© Guadeloupe la 1 ère (capture d’écran)

Du côté du continent, les médias relaient également l’information qui fait le buzz sur les réseaux sociaux. Libération titre le 13 juillet : « Un lycée de Guadeloupe compte-t-il vraiment interdire les «coupes afro» à la rentrée 2019 ? » et Le Parisien titre le même jour : « Un lycée de Guadeloupe pointé du doigt pour avoir proscrit les coupes afro ». L’accent est immédiatement mis sur la question du cheveu afro et sur la dimension discriminante que ce règlement peut avoir.

Face à cette couverture médiatique nationale et ce buzz sur les réseaux sociaux, on peut constater que cette interdiction a majoritairement choqué sur le continent, bien qu’il y ait toujours un grand nombre de problématiques pour les cheveux afro en France continentale, tandis qu’en Guadeloupe l’argumentaire de défense et de justification du lycée a été mis en avant. Car en effet, il semblerait qu’il s’agisse finalement d’une pratique courante en Guadeloupe, où les règles vestimentaires et de présentation physique sont beaucoup plus strictes en milieu scolaire que dans l’Hexagone, avec
notamment le port de l’uniforme et cela même dans les établissements scolaires publics.

Au delà du fait que cette polémique, avec cette couverture médiatique nationale, témoigne du décalage du continent avec les réalités du département de Guadeloupe, cela met en avant un réel problème de société. Car en effet, les cheveux crépus ou bouclés tout en étant de plus en plus utilisés dans la publicité et autres médias, et ayant donc une plus grande visibilité médiatique, sont toujours peu acceptés en société voire discriminés, et cela même au sein d’une société afro-descendante comme c’est le cas en Guadeloupe.

Par ailleurs, cette polémique n’a malheureusement rien d’original et s’inscrit dans la lignée d’autres événements du même type, tel que ce lycée sud-africain qui en 2016 voulait interdire aux lycéennes de porter leurs cheveux naturels. Cela témoigne de la problématique de la norme qui dans l’imaginaire sociétal serait incarnée par la femme blanche et l’homme blanc, avec d’un point vue capillaire des cheveux raides, comme l’explique Eymeric Macouillard Gille pour les Inrockuptibles en avril 2019. Cette norme est ancrée dans notre société d’ascendance coloniale et continue encore aujourd’hui d’œuvrer dans les imaginaires, discriminant celles et ceux qui s’en éloignent. Le lycée Bel-Air de Guadeloupe par son règlement arbitraire s’adapte en fait à un monde professionnel normé et discriminant. Il est un témoignage parmi tant d’autres du racisme systémique de notre société.

Portrait d’une bouclette : rencontre avec Aloha Sellin



Aloha Sellin est une jeune femme guadeloupéenne engagée auprès de sa communauté. Après des études de cinéma, elle crée en 2018 une association innovante avec son amie Francesca :
Île y a. Elles se sont données la mission de revaloriser le patrimoine immatériel en Guadeloupe et tout particulièrement à Pointe-à-Pitre. Nous souhaitons donc donner la parole à cette talentueuse bouclette pour qu’elle partage avec nous son expérience en Guadeloupe…

Bouclette : Quelle a été ta réaction au moment de cette polémique d’interdiction des coupes de cheveux au lycée Bel-Air de Baie-Mahault ?

Aloha : Au début j’ai été choquée mais pas surprise. C’est un fonctionnement très normal dans beaucoup d’établissements en Guadeloupe. Parfois ce n’est pas écrit dans le règlement mais c’est tacite. Un surveillant ou le CPE peut t’empêcher de rentrer au vu de ta coiffure. Moi ce qui m’a choqué c’est que je pensais vivre une évolution des mœurs. De plus en plus de femmes noires se libèrent de la permanente. Même ma Grand-mère laisse ses cheveux au naturel actuellement. Mais cette évolution est très trompeuse parce qu’elle ne se vit que singulièrement. Le système, lui, n’a pas intégré ce changement. C’est pourquoi j’ai rigolé jaune lorsque j’ai vu que cette information a été partagée dans des médias de la France hexagonale. Premièrement, il y avait un réel décalage dans les réactions entre la Guadeloupe et la France hexagonale. En Guadeloupe, il y a eu du bruit, quelques débats mais excepté les jeunes, la majorité des personnes étaient d’accord avec ce règlement. On n’en a parlé réellement que lorsque ça a commencé à faire le buzz en France continentale. Il faut noter qu’il y avait un conseil d’administration composé aussi des parents qui ont votés à l’unanimité pour ce règlement. D’ailleurs, en dépit du buzz, ce règlement n’a pas changé. Ce buzz en France continentale m’a aussi fait rire parce qu’il est représentatif du manque de connaissance de ce qui se passe dans les DOM-TOM, mais surtout de l’ironie de la situation. C’est le modèle de la France hexagonale que l’on cherche à tout prix à suivre parce que selon l’éducation c’est le bon qui a créé ce règlement aliénant.

B : En ayant grandi en Guadeloupe as-tu subi ce type de règlement discriminant lors de ta scolarité ? Et de façon générale comment as-tu vécu le fait d’avoir des cheveux bouclés lors de ton enfance et adolescence ?

Aloha : Je parlais auparavant du manque d’intégration de modernité concernant les cheveux dans le monde scolaire. Et je peux vous dire que oui à mon époque c’était difficile. Ma mère était une rebelle et a conservé ses cheveux au naturel que tout le monde appelait paillasson. Du coup, j’ai été éduquée ainsi. J’allais à l’école les cheveux bouclés pas attachés et j’avais des réprimandes pour ça. Du jugement. Des surveillants venaient me dire qu’il fallait me coiffer, et que ma mère était une mauvaise mère parce que je venais à l’école ainsi. Dès que j’avais les cheveux tirés en chignon ou bien que je me lissais les cheveux, je recevais de la part des membres de l’équipe scolaire une quantité de compliments comme quoi à ce moment-là j’étais belle. Ma beauté et ma respectabilité dépendaient de ma coiffure. Et cela aussi hors du cadre scolaire. Exemple drôle : lors de la communion de ma cousine ma grand-mère m’a emmenée chez le coiffeur faire des boucles anglaises. Mes boucles n’étaient pas belles, par contre celles du coiffeur, celles des anglais, correspondaient à une norme esthétique valable. Cette coiffure a tenu une demi-heure sur moi et ma grand-mère a ruminé pendant une heure sur ma tête et sur ma mère qui m’éduque mal parce que j’aime être cheveux lâchés. Toutefois, je me dois d’atténuer ma posture. Je suis une privilégiée parce que je suis claire de peau et mes cheveux font un peu lisses ; en Guadeloupe je suis blanche pour la population (ce n’est pas le cas en France hexagonale) ; ces deux critères font qu’on relâchait la pression me concernant. Je n’ai jamais vécu des humiliations liées à mes cheveux. Mon frère qui a des cheveux plus crépus, a vécu des moments difficiles. On a refusé de le laisser rentrer dans l’école parce qu’il avait un petit afro. Les CPE et autres membres de l’école ont appelé ma mère pour qu’elle le coiffe. On l’a emmené dans un bureau pour le coiffer avec un peigne tel un animal sauvage. Ces normes au final concernent les noirs. Selon ce fameux règlement, l’afro est interdit par contre les cheveux lisses lâchés sont autorisés ce qui signifie que les blancs n’ont jamais de problèmes. C’est révélateur d’un système raciste qui met la pression sur les noirs concernant leur image mais pas sur les blancs parce qu’ils n’ont pas à dealer de la même manière avec celle-ci. Je me souviens d’un moment qui m’a marquée : on sortait de notre cours de sport qui se déroulait à la plage. Un cours de voile traditionnel ce qui signifie que nos cheveux étaient mouillés. On était retard, du coup on a pris le bus pour revenir au lycée sans coiffer réellement nos cheveux. Des surveillantes nous attendaient aux portails et elles ont simplement refusé de laisser rentrer deux de mes copines qui avaient leurs afro crépus lâchés, sous le prétexte qu’elles ressemblaient à des sauvages. Moi je rentre dans le débat et on m’explique que vu que je suis blanche je peux ressembler à une sauvage et que c’est moins grave. Cela m’a marquée.

B : Dans l’argumentaire de défense des responsables du lycée, la carte du professionnalisme est avancée pour justifier les interdictions. As-tu rencontré des problématiques liées à tes cheveux dans le monde professionnel ?

Aloha : Oui, bien sûr. En Guadeloupe, le milieu professionnel a des attentes plus strictes concernant les cheveux. Aller les cheveux lâchés dans un entretien correspond à un risque. Moi, j’y allais les cheveux lâchés, et à chacun de mes entretiens on m’a demandé si c’était possible d’attacher mes cheveux. La constante dans les bureaux reste les cheveux lissés ou attachés. Lorsque j’étais sans emploi et que j’allais dans les petites formations du pôle emploi, on nous apprenait à avoir une coiffure correcte qui correspondait le plus souvent à cacher la nature de nos cheveux. Toutefois, je crois que la posture change en fonction du travail, actuellement je suis coordinatrice au sein d’une association et lors des rendez-vous professionnels je n’ai encore jamais eu de remarques lorsque j’avais les cheveux lâchés.

B : As-tu constaté une évolution des mentalités et des pratiques par rapport aux cheveux naturels bouclés en Guadeloupe entre ton enfance et maintenant ?

Aloha : Oui il y a clairement une évolution. Aujourd’hui en Guadeloupe avoir des beaux cheveux c’est avoir des cheveux bouclés. Les crèmes sont plus adaptés à nos cheveux. Il y a des salons de coiffure spécialisés dans les cheveux bouclés qui ouvrent. Même ma grand-mère laisse ses cheveux au naturel. Toutefois comme je l’ai dit auparavant le système en lui-même à mes yeux n’a pas changé. Et même cette valorisation reste selon moi en relation avec un système raciste. Ce sont les cheveux bouclés des jeunes femmes métisses qui sont le plus valorisés. Concernant les cheveux crépus, même si il y a une évolution, c’est plus difficile. D’ailleurs, il faut noter une certaine hypocrisie car oui il y a une valorisation, mais seulement lorsque les cheveux naturels sont coiffées. Si ton afro n’est pas coiffé, ça ne passe pas. Il y a toujours une certaine pression dans l’idée qu’il ne faut pas que ce soit trop sauvage.

B : Lorsque tu vivais France continentale as-tu ressenti une approche ou un regard différent sur tes cheveux par rapport à la Guadeloupe ?

Aloha : En Guadeloupe, je recevais des remarques mais je n’étais pas identifiée à une noire même si moi je m’identifiais comme telle. En France continentale, j’ai découvert que j’étais noire notamment à travers mes cheveux via le regard des autres. Les questions sur mes cheveux étaient plus fréquentes. Les gens qui touchaient mes cheveux aussi. Je me souviens d’un jour où je faisais la queue dans un fast-food avec mon père. Une jeune femme s’amusait à toucher mes cheveux ce qui a bien sûr amené mon père à dire à la jeune femme sur un ton sec d’arrêter et que je n’étais pas un mouton. Mon père et moi-même avons été virés de l’espace parce que trop agressifs. Le geste de la jeune femme à leurs yeux n’était pas agressif. En France continentale, je ressentais mes cheveux comme un objet exotique que les gens aimaient. Par contre, cette « objetisation », cette fascination, avait ses limites. Dans le cadre du travail, ce n’était pas le cas. J’ai été hôtesse d’accueil et mes cheveux qui se rebellaient au bout de 4 heures en dépit des quantités astronomiques de gel et laque était un objet d’angoisse pour ma patronne qui ne cessait de rajouter de la laque et qui l’après-midi me cachait au vestiaire parce que je n’étais plus la jolie potiche. C’est à ce moment-là que je repensais aux surveillants et à tous ces gens qui me faisaient des remarques en Guadeloupe. Et j’ai compris que toutes ces règles ridicules, cette pression sur nous, étaient là pour nous protéger parce qu’on sait qu’au naturel on n’est pas réellement accepté, en dépit de mon privilège d’être plus claire de peau.

B : Quelle relation entretiens-tu maintenant avec tes cheveux ?

Aloha : Il y a plusieurs mois de cela, j’ai coupé mes cheveux pour une coupe courte qui a choqué beaucoup de personnes en Guadeloupe puisque ayant les cheveux représentant la norme esthétique actuelle cela semblait illogique. En fait, je pense qu’une part de moi ne voulait plus être identifiée à mes cheveux. Je ne voulais plus être la métisse aux cheveux bouclés. Je voulais juste être moi. Maintenant je souhaite les laisser pousser mais cette fois-ci dans une perspective d’amour dans le sens où je souhaite les protéger et utiliser des produits adaptés et naturels.

Lara Saadi

1 réflexion sur “Dossier : Avoir les cheveux bouclés en Guadeloupe”

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